une nuit sur le barrage de La Boucan, en Guadeloupe

Par Simon Auffret

Publié aujourd’hui à 17h51, mis à jour à 18h17

Dix hommes soulèvent un large panneau publicitaire et l’envoient s’abattre avec fracas sur un amas de tôle, de vieux lave-linge et de carcasses de voitures calcinées. Le bitume de la nationale 2 est imbibé d’essence, on le voit à la lumière des flammes qui s’élèvent d’un tas de pneus incendiés à quelques mètres. La rumeur court que l’offensive serait pour cette nuit du 25 novembre, peut-être, alors tout le monde s’active : les gendarmes ne doivent pas reprendre le barrage de La Boucan, haut lieu du conflit social qui secoue la Guadeloupe.

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Les manifestants tiennent, depuis plus de dix jours, l’entrée de Sainte-Rose, ville touristique du nord de la Basse-Terre. Aucun véhicule n’a pu déjouer la surveillance permanente du petit pont qui passe au-dessus de la Grande rivière à Goyaves, le plus long cours d’eau de l’archipel antillais. Le seul trajet alternatif s’étend sur plus de 60 kilomètres, traverse les montagnes et est ponctué, par intermittence, d’autres barrages. « Nous sommes désormais une zone franche », sourit Ludovic Tolassy, porte-parole du mouvement Moun Gwadloup et impliqué dans la tenue du blocage.

Barricade à La Boucan (Guadeloupe), le 25 novembre 2021.

Des blocages, plutôt. Les grenades usées de gaz lacrymogène témoignent d’une précédente tentative de la préfecture de dégager la route, pendant laquelle les gendarmes mobiles avaient progressé sur un kilomètre, avant de se retirer devant l’évidence : il restait encore sept fois la même distance à parcourir et près du double de barrages à déblayer avant d’atteindre le centre de Sainte-Rose. « Il a fallu faire Walking Dead pour qu’on puisse se faire entendre », soupire un homme à l’entrée du pont de la Boucan. Se donner l’air des zombies de la série télévisée et transformer un quartier en décor de film d’horreur, pour faire réagir l’Etat sur les douleurs de la jeunesse en Guadeloupe.

« Il n’y a pas de couvre-feu »

Derrière les barrages, la nuit tombée, les revendications forment une litanie aussi longue que le nombre de checkpoints. « Depuis que je suis enfant, il n’y a pas d’eau courante et je dois me doucher à la bouteille. J’ai 23 ans, deux boulots, et avec 30 euros je m’achète à peine un cabas de courses quand vous avez presque un caddie en France. Vous voulez me parler d’égalité, de respect de l’Etat de droit en Guadeloupe ? », lance un jeune homme au pied de la statut du premier gouverneur noir de l’île, Félix Eboué (entre 1936 et 1938).

Ludovic Tolassy, porte-parole de Moun Gwadloup, à La Boucan (Guadeloupe), le 24 novembre 2021.

« Quand on a connu le scandale de la chlordécone, la contamination des sols, l’augmentation des cancers du colon et du pancréas, on ne peut être que méfiant d’un vaccin que le gouvernement veut nous imposer sans discussion », poursuit-il, juché sur une trottinette. Il s’éloigne, ne veut pas être vu trop longtemps à côté de journalistes dont la présence a été négociée, certes, mais reste contestée par de nombreux habitants.

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