Yan Marchal, satiriste français amateur, persona non grata en Thaïlande

Connu en Thaïlande pour ses vidéos satiriques sur TikTok, où il s’exprime en thaï et tourne en dérision le gouvernement, le Français Yan Marchal a été déclaré persona non grata en arrivant, samedi 27 novembre, à Phuket, de retour d’un séjour en France. Renvoyé à Bangkok dans la zone de transit, il a repris dans la soirée un vol pour Paris. Cet entrepreneur de jeux vidéo qui vivait en Thaïlande depuis dix-huit ans s’est vu reprocher par l’immigration un comportement susceptible de « mettre en danger le public ». « On m’a conseillé de ne pas faire appel, nous a-t-il dit depuis l’aéroport, sans quoi je risquais d’être l’objet d’une accusation formelle », – possiblement de lèse-majesté. « On m’a dit que ce que je faisais posait des problèmes, vis-à-vis du roi. »

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Son expulsion de facto est un nouveau signe de durcissement, alors que les tensions s’exacerbent en Thaïlande entre le camp prodémocratie – qui a lancé fin octobre une campagne d’abolition de la loi de lèse-majesté et organise des manifestations chaque week-end – et le gouvernement du premier ministre et ex-général putschiste Prayuth Chan-o-cha. Celui-ci a annoncé le 26 novembre qu’une enquête avait été ouverte pour déterminer si Amnesty International avait enfreint la loi, après qu’un groupe d’ultraroyalistes ont signé une pétition pour l’expulsion de l’ONG de Thaïlande. Il lui reproche d’avoir porté atteinte à la sécurité nationale en appelant à mettre fin aux poursuites pénales contre les militants qui demandent de réformer la monarchie. « La force de la loi sur la lèse-majesté réside aujourd’hui dans le fait qu’elle peut être interprétée de manière très souple, ce qui entraîne une autocensure plus importante que nécessaire et crée un climat de peur », estime le journaliste et opposant Pravit Rojanaphruk.

« Un sens de la satire et de la parodie »

Yan Marchal s’était invité dans ce débat très polarisé en jouant le rôle de l’étranger faussement ingénu qui met les pieds dans le plat et se moque des ultraroyalistes pur jus. Sur TikTok, il a diffusé un montage de la vidéo d’une royaliste qui répond à l’une de ses satires en lui montrant des toilettes : « Tu les vois les chiottes, eh bien vas te noyer dans la cuvette, sale étranger ! », lui crie-t-elle. Les Thaïlandais ne sont plus polis du tout quand il s’agit de défendre la monarchie : les noms d’oiseau fusent. Le Français s’exécute et se filme, la tête dans la cuvette, tout en lui répondant : « J’y suis allé, et j’ai vu ce que tu avais au fond des yeux. » Résultat : 17 millions de « vues ».

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« Il a apporté un sens de la satire et de la parodie comme tout Francais sait un peu le faire instinctivement, parce que nous sommes exposés à cela depuis tout jeune », estime Stephff, un caricaturiste français basé à Bangkok qui chronique la politique locale pour un média dissident. Or, la parole s’est libérée dans les manifestations depuis 2020 notamment vis-à-vis des frasques présumées du roi, Rama X de son nom dynastique.

Yan Marchal a commencé son « hobby » de satiriste des réseaux sociaux en juin 2019, après que les élections législatives censées fermer la parenthèse du coup d’Etat de 2014 ont remis en selle les putschistes – grâce à un Sénat nommé par leurs soins et une justice aux ordres. Il met en ligne sur Facebook une vidéo dans laquelle il reprend la chanson composée par le général Prayuth après le coup et prétendant que l’armée allait « rendre le bonheur aux Thaïlandais s’ils étaient patients ». Yan Marchal en pervertit les paroles, inversant leur sens – les généraux ayant démontré qu’ils n’avaient plus du tout l’intention de laisser la main. Cette parodie lui vaut alors d’être convoqué par la police.

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Il sera ensuite de toutes les manifestations antigouvernementales, où il se met en scène en réalisant des micros-trottoirs dans un thaï courant mâtiné d’un fort accent français. Mais c’est son passage sur TikTok, il y a trois mois, qui a soudain fait exploser son audience – plus de 570 000 abonnés – faisant manifestement de lui un « danger » – pour le pouvoir.

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