« L’approche militaire risque de renforcer les groupes armés plutôt que de les détruire »

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Des miliciens du groupe armé Codeco montent la garde pendant une réunion avec d’anciens chefs de guerre dans le village de Wadda, dans la province de l’Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo, le 19 septembre 2020.

Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), l’Ituri vit au rythme des massacres, des viols, des enlèvements et des pillages. Dans cette province dont les sous-sols regorgent d’or, sévissent milices, groupes armés et forces de sécurité congolaises.

Dernière illustration de ces violences quasi quotidiennes : vingt-deux civils ont été tués dimanche 28 novembre dans une attaque contre un camp de déplacés, moins d’une semaine après une attaque similaire ayant fait vingt-neuf morts sur un site voisin. Les assaillants, selon la Croix-Rouge, seraient des miliciens du groupe Coopérative pour le développement du Congo (Codeco).

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Piégés dans ces conflits sans fin, les civils peinent désormais à accéder aux soins, les humanitaires étant également pris pour cible, à l’image de l’ONG Médecins sans frontières (MSF) dont un convoi a été attaqué le 28 octobre. Pourtant, la province de l’Ituri comme le Nord-Kivu voisin, également en conflit, sont depuis six mois placés sous le régime exceptionnel de l’état de siège et sous l’autorité d’un gouverneur militaire.

Pourquoi ce conflit, qui a fait plus de 1 000 morts et un demi-million de déplacés en quatre ans, perdure-t-il ? Comment expliquer la faiblesse de l’armée congolaise ? Pierre Boisselet, coordinateur du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST), un organisme qui cartographie les violences perpétrées dans les Nord et Sud-Kivu et en Ituri, revient sur les racines du conflit et sur les raisons de sa persistance.

Dans la mosaïque des groupes armés qui pullulent dans l’est de la RDC, la Codeco est devenue l’une des milices les plus meurtrières de la région. Comment s’est-elle constituée ?

Pierre Boisselet La Codeco demeure mystérieuse et opaque. Son nom fait référence à la Coopérative pour le développement du Congo qui réunissait jadis un ensemble de coopératives agricoles en Ituri. Sa création remonte à 2017, suite à l’assassinat d’un prêtre, Florent Dunji, appartenant à la communauté lendu. En réaction, des jeunes lendu ont organisé des manifestations. Peu à peu, le mouvement de contestation s’est mué en groupe armé. Aujourd’hui, la Codeco s’est scindée en plusieurs factions. Dans leur viseur, il y a la communauté hema, accusée d’être responsable de la mort du prêtre. Pourtant, cet assassinat n’a jamais été élucidé.

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Les informations sont également parcellaires s’agissant du fonctionnement du groupe. On sait néanmoins, d’après des témoignages, que les miliciens partagent des rites mystiques lors de cérémonies d’initiation et consomment le dawa, une « potion magique » censée les rendre invincibles.

La Codeco prétend défendre les intérêts des Lendu, notamment contre les Hema. Quelle est l’origine de l’antagonisme entre ces deux communautés ?

Ce conflit remonte au moins à la période coloniale. Les autorités belges, alors imprégnées de théories racialistes, avaient élaboré une hiérarchie entre les différentes communautés de l’Ituri sur la base de leurs activités économiques principales.

Il y avait entre autres les Hema, éleveurs, considérés comme supérieurs, et les Lendu, agriculteurs perçus par les Belges comme des subalternes. Comme au Rwanda, cette distinction préexistait à l’arrivée des Belges mais ceux-ci l’ont instrumentalisée.

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Cette vision stéréotypée n’a pas disparu à la décolonisation. Les discriminations envers les Lendu, dans l’accès aux opportunités économiques, au capital, au pouvoir local et à la terre, se sont perpétuées. Par ailleurs, ces théories racialistes influent dangereusement sur la gestion du conflit. J’ai entendu certains officiers congolais reprendre à leur compte ces stéréotypes à propos des Lendu jugés violents et barbares.

Comment les miliciens de la Codeco, que vous estimez à plus d’un millier de combattants, ont-ils bâti leur puissance armée ?

Comme d’autres groupes armés dans l’est de la RDC, les Codeco ont un accès relativement aisé aux armes. Elles proviennent souvent des stocks de l’armée régulière, qui sont mal gérés et font l’objet de trafics. Par ailleurs, la guerre au Soudan du Sud voisin, qui s’est poursuivie jusqu’en 2018, constitue une autre source d’approvisionnement possible. Aujourd’hui, les miliciens de la Codeco disposent d’armes lourdes, de mitraillettes et d’AK-47.

En ce qui concerne le financement, la Codeco pille les villages, taxe les populations en érigeant notamment des barrages routiers. Les mines d’or, nombreuses en Ituri, constituent aussi une source de revenus.

Kinshasa a instauré l’état de siège le 6 mai en Ituri et au Nord-Kivu pour ramener la sécurité dans ces zones instables depuis vingt-cinq ans. Pourtant, votre baromètre révèle une intensification des attaques menées par les groupes armés, avec plus de 1 300 morts depuis six mois en Ituri et au Nord-Kivu, selon un rapport d’élus publié le 10 novembre. Comment expliquer cet échec ?

L’état de siège, qui a consisté à transférer le pouvoir aux militaires, n’a pas été pensé de manière globale. Chaque gouverneur, au Nord-Kivu et en Ituri, dispose de sa propre stratégie. En Ituri, elle est strictement militaire. Les résultats y ont d’abord été encourageants, avec une baisse significative des attaques et la reconquête en mai, sous l’œil des caméras, de la route nationale 27, un axe routier central qui était tenu par les miliciens de la Codeco.

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Cependant, sur le terrain, les militaires mènent une offensive indiscriminée, sans toujours distinguer dans les villages les miliciens des civils. Ce qui a donné lieu à des bavures. En réaction, des jeunes des différentes communautés s’enrôlent dans des milices d’autodéfense. Je crains que l’on soit face à une impasse, car cette approche militaire risque de renforcer les groupes armés plutôt que de les détruire.

Comment l’armée est-elle donc perçue par les populations ?

Dans cette guerre, l’armée ne bénéficie pas d’un soutien populaire. Du côté des Lendu, il n’y a pas d’adhésion à la stratégie militaire. Les officiers se plaignent d’ailleurs du manque de collaboration des membres de cette communauté qui cohabitent bien souvent avec les miliciens.

Cependant, même les cibles des milices, comme les Hema, ont de moins en moins confiance en la capacité de l’armée à les protéger. Il est à craindre, que ce conflit vire à l’affrontement communautaire, chaque groupe cherchant à assurer sa propre sécurité.

L’armée congolaise était-elle suffisamment préparée pour affronter ces milices armées ?

Je ne pense pas. L’absence de stratégie globale couplée au manque de moyens a eu des effets contre-productifs. Un rapport parlementaire publié en octobre indique qu’au début de l’état de siège, les militaires réclamaient 589 millions de dollars afin de répondre aux besoins urgents en termes d’équipements, de personnels, etc. L’Etat n’en a débloqué que 33 millions.

Depuis, cela a pu évoluer mais à la marge. On constate que la proclamation de l’état de siège n’a pas été suivie d’un effort financier significatif. De même, il n’y a eu que peu de nouvelles recrues. Moins de 7 000 soldats actifs étaient déployés en Ituri avant l’envoi en renfort, en septembre, de 1 200 soldats issus de la garde républicaine. Cette décision a d’ailleurs créé de la confusion dans la chaîne de commandement car les gardes républicains obéissent à leur propre commandement.

Du côté des miliciens de la Codeco, quelle est la tactique de guerre employée ?

Les officiers de l’armée congolaise que j’ai rencontrés parlent d’une guerre asymétrique. Ils sont confrontés à un ennemi insaisissable qui les attaque par surprise. Les miliciens se déplacent sur un territoire qu’ils connaissent bien et bénéficient très certainement de complicités au sein des populations locales. Ce dont ne disposent pas les soldats congolais.

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